Le Crépuscule du Lion III

Livre Trois - Crysthyal Quantum

Page 42

"... Revenu au temps présent, Regulus Donatello ouvrit les yeux et descendit du hamac. Le trouble l’habitait depuis que son hôte avait lâché ces deux termes. Il se demanda si le Monde n’était pas finalement une succession de prisons différentes proposées comme les faces d’un Rubik’s Cube[1] où certains trouvaient la sortie en moins de quelques minutes pendant que d’autres passaient leur vie à la chercher. Les équations continuaient à lui échapper, devenues soudainement folles à cause du magnétisme d’un raisonnement supérieur entrant en conflit avec celui du cerveau humain. C’était la première fois de son existence que le Professeur connaissait un tel échec : que lui arrivait-il ? Fatigue ? Pollution ? Santé altérée par un trop long internement ?

Ses forces anesthésiées, Regulus déambula dans le patio, admirant les exubérances fleuries et les jarres vernissées. Entre des déclinaisons de bleu indigo et de rose fuchsia, des mosaïques illustrant de magnifiques scènes équestres constellaient le sol et les murs de la cour intérieure aux proportions parfaites. Il sourit avec indulgence :

— Cesse donc de t’inquiéter… On n’apprivoise pas les dimensions du Monde sans un temps d’adaptation. Mes facultés ne tarderont pas à revenir dès qu’elles se seront connectées aux algorithmes de cette contrée…"


[1] Casse-tête géométrique à trois dimensions inventé par Ernő Rubick en 1974.

Pages 59/60

"...Paul avait cru que Gimus évoquerait Louane. Une illusion de quelques secondes suffisante pour retrouver son amour intact s’immergeant dans un bain de jouvence où toutes les douleurs s’étaient subitement tues pour faire place à une immense quiétude. Il aurait pactisé avec quiconque capable de lui faire revivre ce vertige. Cependant, lorsque les réalités basculèrent sur ses épaules, elles augmentèrent le poids du joug sur lequel s’entassaient plus de vingt années de souffrances et de chagrins. Il en devint amer :

— Mes parents ? Vous les connaissiez ?

— Nous avions rendez-vous à L’Étoile du Chardon

Paul sursauta. Ses doutes en firent autant :

— C’était donc vous qu’ils devaient rencontrer chez Lise Gauthier ? Mais… pourquoi ?

— Commençons par le début… Quelque temps auparavant, alors que j’étais en mission, un nomade a prétendu avoir vu une femme qui était tombée du ciel

— Un homme ? Qui ? Que vous a-t-il appris ? C’était où ?

Gimus se redressa et alla remplir deux gobelets à une fontaine stérilisée. Il posa un verre devant Paul et but le sien d’un trait avant de s’asseoir pour reprendre :

— Lorsque la Légion Navale m’a changé d’unité à cause de mon âge, j’ai intégré les Spécialistes des Surfaces Aquatiques Intérieures, un détachement se consacrant aux états d’urgence des points d’eau de la planète destinés aux armées en déplacement. Nos mises à jour leur sont capitales en opérations extérieures…

Paul aurait aimé écourter les palabres. Mais il fut poli :

— Les Commandos se servent de vos données lorsqu’ils sont en mission. Dans ce cas, vous devez être en relation avec l’O.P.M. basé en Méditerranée ?

— Effectivement. L’Observatoire Planétaire de la Marine qui a pour vocation de comprendre la disparition de la moindre étendue d’eau, soit par assèchement, pollution ou dérèglement climatique, est notre lanceur d’alertes…

Gimus reprit sa respiration avant de poursuivre :

— Un soir, alors que nous explorions le désert jouxtant le nord du dépotoir mondial, une tempête de sable a obligé notre unité à partager avec des autochtones le dernier refuge-oasis situé avant la zone interdite… Après une nuit d’enfer, un homme emmitouflé de turbans et d’étoffes s’est approché de moi pour me confier avoir connu « une femme qui était tombée du ciel ». Elle prétendait avoir été enlevée et déposée dans un camp par un avion estampillé des lettres W et B. Craignant de ne pas se faire comprendre, le nomade m’a répété plusieurs fois son histoire. Puis il m’a remis un bijou destiné à la famille de la disparue…

— A-t-il donné le nom de Louane ?

— Non… Mais il savait que j’étais son oncle… 

— Comment ? Et vous n’avez rien pu apprendre de plus ?

— La caravane partait à l’aube pour le dépotoir mondial. Même le plus courageux des légionnaires se refuse à franchir la zone interdite : c’est passible de cour martiale et d’internement dans les camps anonymes spécialement conçus pour les fortes têtes. En tant que militaire, vous connaissez le sort ignoble qui leur est réservé, n’est-ce pas ?

— Oui… Mais, alors ? À votre retour, qu’avez-vous fait ? Vous en avez parlé à votre frère ?

— Je ne savais pas où le trouver… Donc…

— Vous avez joint Michel ! Mais... pourquoi pas moi ?

— Et si je vous avais fourni de faux espoirs ?

— Poursuivez…

— Votre père a souhaité que je lui expédie le bijou. Il m’a demandé de m’installer à L’Étoile du Chardon. Quelques jours plus tard, il m’y a rappelé…"

Pages 98/99

"...Quel jour de la semaine était-il ? Était-ce la nuit ou bien le jour ? Dans cet infâme cul de basse-fosse, tel un véritable mouroir, Arnaud avait fini par perdre le contrôle du temps. Pour avoir répondu par un coup de poing à la grossièreté d’un garde qui, à la sortie de la douche quotidienne, avait pris l’habitude de reluquer sa nudité avec un voyeurisme dépravé, il avait été démis de ses corvées et transféré séance tenante aux geôles ignobles et répugnantes réservées aux fortes têtes et aux militaires ayant été jugés défaillants vis-à-vis de leur corps d’armée.

La situation d’Arnaud empirait, car, dans ces oubliettes des méprisés où le directeur laissait sciemment quelques subordonnés acerbes gérer une discipline glauque, la promiscuité permanente des gardiens et des taulards engageait les abus sexuels comme exercices d’autorité. De l’intimidation au passage à l’acte, les exactions étaient commises entre individus de même genre puisque, contrairement aux secteurs administratifs, les hommes et les femmes condamnés étaient claquemurés dans des quartiers distincts. À contrecœur, Arnaud avait dû user de ses poings pour défendre son intégrité physique, préférant mettre ses jours en danger plutôt que son intimité. Si les gardes l’abattaient, ils maquilleraient les circonstances en tentative d’évasion, incontestable raison qui prévalait sur tous les articles du règlement du camp. Plus que jamais, au pied de l’Oural, les relations humaines soumises aux programmes extrêmes de l’austérité ne connaissaient que des débordements sous toutes formes de déviance. Les comportements bestiaux touchaient un point d’insulte vis-à-vis du règne animal tant leur violence frisait la pure démence annonçant la dégénérescence d’une espèce. Arnaud se sentait bien éloigné de ses ambitieux projets et du respect de l’Acacie pour les spécificités masculines et féminines. Deux souvenirs qui ne tarderaient pas à rejoindre ceux d’une dignité et d’une fonction qui s’appelaient communément, dans son autre vie, les charges d’un homme politique..."

Le crepuscule du lion trois photo couverture tbe

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