Au nom de la piste

Page 9 : « Depuis la cafétéria du circuit, Freddy observait l’entraînement de Romain. Sélectionné pour piloter sa dernière acquisition, une Yamaha 250 TZ Reverse de 1990, le jeune homme roulait avec style. Dès le début de la séance, le regard rivé sur la piste, le team manager s’imagina au guidon de sa moto. Ses doigts jonglaient doucement entre la poignée d’accélérateur et les leviers d’embrayage et de frein. Son corps épousait les changements de trajectoires. Des mouvements légers pour des sensations presque réelles. Des réflexes devenus imperceptibles.

Soudain, son buste se redressa, anticipant un freinage que Romain négligea. Dernier tour. Tu es trop confiant. Ou fatigué. À la façon dont son poulain attaqua le virage du Pont, Freddy sut qu’il allait perdre l’avant de la moto. À peine sorti du Triple gauche, il accéléra pour aborder la courte montée. Tu sous-estimes le piège du dénivelé. Entraîné par la vitesse, le pilote n’eut pas le temps de ralentir. Arrête de freiner au point de corde et reprends doucement les gaz, sinon, tu vas passer la courbe en roue libre. En effet, sans traction de l’arrière, la Reverse glissa et se coucha, éjectant brutalement Romain sur le côté de la piste.

Aussitôt, un drapeau jaune se leva pour signaler l’accident aux autres motards. Puis, un rouge clôtura prématurément la séance de roulage tandis que les commissaires appelaient l’ambulance, car le pilote, toujours au sol, avait perdu connaissance. »

Page 23 : « Au moment où Jeff se redressa, un grondement harmonieux signala une présence devant l’entrée de son garage. Habituée aux tonalités incisives des deux-temps, sa fine oreille reconnut néanmoins la belle voix de basse d’un flat-six. Ragaillardi par cette identité sonore unique, il commanda à distance l’ouverture de l’atelier. Le rideau monta lentement. Jeff jubilait à l’idée de découvrir la nouvelle acquisition de Freddy. Quand la superbe sportive se dévoila dans son intégralité, les phares allumés lui donnèrent l’illusion d’être fixé par le regard d’un fauve prêt à bondir. Pourtant, la Porsche s’avança prudemment sous l’éclairage des néons. Et Jeff se sentit une fois de plus en phase avec la passion de Frédéric Mancini pour les belles mécaniques. Et dire que je dois cette rencontre improbable à l’incorrigible vice de Joël pour le poker ! Une ironie du sort qui avait fait sauter de nombreuses barrières sociétales entre un modeste garagiste et un magnat du fret maritime. »

Page 48 : « Jeff démarra la 2 et demie dans le garage. Aussitôt, une fumée blanche aux reflets bleutés l’enveloppa. Le mécanicien cala la poignée de l’accélérateur entre 5000 et 6000 tours. Tant que la température du moteur n’atteindrait pas sa limite basse, soit entre 50 et 60 degrés, il laisserait tourner le moulin à ce régime. En position statique, il était important de ne pas voir l’aiguille du compte-tours flirter furtivement avec une zone rouge commençant à 10500 tours. À partir de 70 degrés, les validations des cotes d’utilisation de la machine pouvaient débuter.

À ses côtés, Joël l’encouragea à poursuivre le rythme, un bloc-notes à la main. Il cria :

— Alimentation essence ?

— O.K.

— Circuit de freinage ?

— En pression.

— Circuit de refroidissement ?

Jeff hocha la tête.

— Circuit de lubrification ?

— C’est bon. Sens-moi ce parfum de luxe !

Il accéléra. Une odeur de ricin flatta leurs narines. Les yeux espiègles, le mécanicien rajouta :

— J’ai mis de la 7.4.7.

Un sourire béat détendit le visage de Joël :

— Non ! Comme à l’époque ?

— Je veux du haut niveau pour nos deux-temps.

— Lubrification garantie !

— Pardi ! Le Team Mancini Racing n’allait pas se gêner ! Quitte à enfumer nos adversaires sur la piste, autant qu’ils respirent de l’authentique ! »

Page 86: « Accompagné par ses fantasmes, Freddy s’endormit pour rejoindre la trame d’un rêve où sa main se posait sans cesse sur la poignée d’un accélérateur. À s’y brûler. Jusqu’à ce qu’il parvienne à toucher le Saint-Graal. La finesse avec laquelle ses doigts maîtrisaient les gaz était coulante. Harmonieuse. Facile. Tout à coup, devant la bulle de sa TZ, la ligne droite du Mistral s’imposa comme un défi. Seul contre tous. Le tournoi d’un chevalier moderne. Sans hésiter, son pied enclencha la 6e longue, mise au point par Jeff.  La 5F7 hurla.  Son cœur s’accéléra à se rompre. L’aiguille du compte-tours courtisa sérieusement la zone rouge.

La vitesse. Une sensation unique. Maîtrisable. Ou pas. Un nouveau plaisir. Une jouissance différente. Une plénitude divine. Des sentiments sublimés par le langage euphorique du drapeau à damier. Savourer l’instant. La victoire.

Sous son casque, il respirait lentement. Sa tête s’était vidée des voix ressassant les banalités agaçantes du quotidien. Seule demeurait celle qui lui confirmait sa vraie place.

Celle de sa liberté d’être.

Mais également l’autre. La plus belle.

L’irremplaçable.

Celle de la piste. »

Page 182 : « Le corps en pleine révolution, Juliette lutta contre les nouvelles scènes qui venaient à elle. Contre le plaisir qu’elles promettaient. Ce ne sont que des illusions. Tenir bon. Refuser de se caresser. Cesser même de respirer afin d’oublier ce qui n’existait pas encore. Espérer être vaincue par la haine en répudiant farouchement un homme qu’elle souhaitait détester. Mais le parfum de Frédéric Mancini s’échappa subtilement du tricot et diffusa autour d’elle une vague de propositions indécentes à laquelle elle n’eut plus envie de résister.

Plus de mensonges ni de faux-semblants pour s’offrir au cachemire qui avait envoûté sa peau. Aussitôt, Freddy fut devant elle. Séduisant. Insolent. Elle lui tendit les bras pour le sentir en elle. Orgueilleux. Conquérant. Ce n’est qu’un rêve érotique. Pourtant, dans une jouissance exquise, ses doigts tatouèrent convulsivement le prénom masculin sur son sexe fébrile. Et Juliette sut que cet homme changerait sa vie. »

Page 203 : « Quand il se retrouva dans le quartier de La Condamine[1], il imagina son Coupé 911 prendre le départ du Grand Prix de Monaco. Dès le démarrage, ses mains habiles flatteraient harmonieusement le turbo des 650 CH du flat-six. Entre la vitesse fulgurante gagnée en quelques secondes et le son singulier de son bolide, son euphorie libèrerait dans son ventre un véritable cocktail d’hormones digne d’un shoot post-orgasmique. Comme sur mes TZ.

Le cœur léger, il ralentit son pas pour longer le port, irrémédiablement attiré par les bateaux à quai. C’était l’heure qu’il aimait. Celle où la fraîcheur de l’aube le dégrisait. Où sa fashion style n’avait plus d’importance. Où ses passions renaissaient des cendres d’une nuit unique.

L’heure où Frédéric Mancini se fardait d’une jeunesse retrouvée afin de résumer sa vie à l’essentiel.

« I’m a racing man for ever ! »


[1] Quartier commerçant de Monaco, situé entre Le Rocher et Monte-Carlo, derrière le port Hercule ; célèbre pour être le lieu de départ et d’arrivée du Grand Prix automobile de Monaco.

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