Humeurs en feuilles de livres...
Adagio d'automne
La rentrée…
Après les écoliers studieux, les contribuables prévoyants et les jardiniers consciencieux, ce mot évoque les soirées conviviales, blotties au coin du feu et recroquevillées dans la laine, un livre à la main…
Ah ! La vitrine de la librairie ! Fraîchement imprimés et parés de cordons rouges, les bouquins empilés annoncent déjà la couleur des fêtes de fin d’année ! Les écrivains notoires côtoient les petits nouveaux, les uns ne faisant pas de l’ombre aux autres : dans les méandres de la boutique, le titre accrocheur vaut bien la renommée, car tout se doit d’exister pour faire un monde et le séduire.
Par contre, un monde virtuel qui uniformiserait sa façon de vivre serait-il séduisant ?
Hier encore, la rigide horloge utilisait de fidèles aiguilles pour mesurer le temps suivant d’immuables graduations ; elle se fiait à son rigoureux balancier, véritable vigile sonore des quarts et des demies afin de rappeler la vie qui passe à l’étourdi contemplant ses photos de vacances...
C’était avant que des doigts agiles ne s’agitent sur les touches d’un clavier et que le pupitre informatisé ne détienne l’extraordinaire insolence d’extensions horaires jadis inconcevables.
À l’heure des temps numériques, chaque clic s’assimile à une seconde et le tour du monde devient réalisable dans le pouvoir de posséder qui n’a plus de dimensions matérielles, et le pouvoir de faire qui n’a plus de limites à respecter.
Au synonyme de ce repli sur soi rappelant la saison qui invite à se préparer au sommeil hivernal s’oppose un vif tourbillon fournissant accès, visites, découvertes, acquisitions, jeux, communications et rencontres.
Soumis aux effets similaires d’un philtre pour jeunesse éternelle, l’internaute s'amuse de son équilibre sur sa planche de surf où la rapidité de l’information, tant celle à prendre que celle à donner, circule, roule et s’écume aussi vite que la lumière, mais grise d’une inégalable sensation de puissance.
Quel pied de nez au sablier ! Celui qui encombrait l’esprit de ses grains fuyants peut toujours chercher une prise sur l’intensité de l’e-vie, il est bel et bien relégué dans le placard des antiquités !
Pourtant, l’écheveau continue à dérouler le fil, l’eau, à passer sous les ponts et le soleil, à demeurer dans l’impossibilité de rencontrer son amie la lune !
La toile ne connaît pas de rentrée, plaçant sa bienveillance rassurante dans une présence infaillible, jour et nuit, toute l’année, sans saisons, ni climats.
Aucune défaillance ! Aucune attente ! Aucun encombrement sur l’étagère !
Le pouvoir suprême de la dématérialisation de la convoitise, celui qui entraîne la capacité d’engranger autant de contacts, d’informations, d’images que ce que l’outil informatique propose, suscite ou piège à travers des désirs tant personnels que suggérés !
À défaut d’éternité, l’humain n’a jamais eu autant, en si peu d’espace et en si peu de temps...
(Porte Cloître St Sauveur - Aix-en-Provence)
À l’heure de la sortie…
Les souvenirs accumulés dans quelques cartons remplis de clés USB déclencheront de nombreux soupirs chez les progénitures aux us et coutumes modernes, râlant et pestant contre pareil fourbi révolu ! Explorer autant de "gigas" sera un travail colossal !
Ah ! Que n’auront-ils pas connu de ces meubles aux tiroirs secrets ! De ces malles oubliées ! De tous ces objets insolites et différents qui constituaient un fouillis autrement plus envahissant sinon, à l'égal du trousseau de clés virtuelles, tout aussi incohérent !
Pourtant, chacun d'eux racontait une histoire au goût d’une madeleine, discrète saveur du témoignage éloquent d’une lettre d’amour parfumée, d’une photo jaunie, d’un livre griffonné de notes, d’un disque qui fonctionnerait encore, malgré quelques grésillements d’usure, pour un peu qu’on eût conservé une platine d’époque…
Que n’auront-ils pas ressenti devant ces ramasse-poussières, ceux pour qui le poète aurait pu déclamer cette tendre indulgence : « …Objets inanimés, avez-vous donc une âme qui s’attache à notre âme et la force d’aimer ?... » (Lamartine)
Car, sous l’encre dissoute par les larmes de l'amoureux, dans le regard figé de l’instant volé sur le papier glacé, sur les pages écornées, lues et relues par plusieurs générations, à travers le microsillon rayé pour avoir été maintes fois écouté, le souffle de vie passe…
Nourris de leur sève essentielle et fondamentale, les sens s’éveillent, en particulier ceux qui ancrent l’humain dans la réalité de l’échange et du partage.
L’humeur du moment…
J’aime la magie de l’objet pour l'émotion qu'il suscite car cette dernière confirme la certitude de réunir les empreintes de ceux qui se sont attelés au noble devoir du travail accompli et abouti.
Je prends plaisir à écrire un livre, imaginer sa couverture, positionner le texte et ses marges, rédiger son résumé et envoyer l'épreuve à mon imprimeur qui concrétisera le fruit de mes réflexions. Ma satisfaction sera complète lorsque vous me ferez l’honneur de me permettre d’y apposer une dédicace qui vous sera personnelle, quelques mots griffonnés par une encre devant encore sécher !
Alors, sous cette signature parachevant mon œuvre, je serai devenue un véritable artisan, celui qui ne peut concevoir qu’une création ne soit réelle que si elle est matérielle, attestant ainsi la preuve de sa propre existence et celle de l’objet même !
La touche poétique inspirée par l'humeur du moment :
« Les feuilles mortes voltigent au vent mauvais,
Mais les pages reliées du livre papier,
De leur écrivain, conservent la sensualité
Pour la main du lecteur qui vient les caresser »
© Françoise Teissier
Octobre 2012