Le poète de la terre provençale

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"...À l’image du papier des vieux livres que j’affectionne, la trame de mon lyrisme littéraire persiste à jaunir les clichés argentiques et, de faits authentiques en suppositions romanesques, j’ai pareille prédilection à colorier les mots de ce ton sépia qui couvre les aïeuls du lustre consenti aux héros. Entre le respect de tes engagements de félibre et le plaisir d’écouter ta muse, entre le goût des hommages et celui de pousser la chansonnette, entre les tragédies qui ont jalonné ton existence et ton incommensurable reconnaissance envers la vie, c’est un Eugène Lèbre au front libre que j’imagine, arborant avec dignité le costume provençal, la mine superbe du roc sans faille, l’esprit avisé du mutualiste convaincu et l’âme candide de l’homme droit et désintéressé. Ainsi, l’indépendance qui nourrit les élans de ta parole devient-elle cette verve intarissable en public, passionnée sur le papier, parfois élogieuse ou si justement revendicative, souvent dévouée et utile à l’égard des autres, aux usages tantôt sensibles, tantôt rayonnants, aux causes par moment douloureuses et aux issues occasionnellement incertaines.

Me pardonneras-tu cette intrusion dans l’intimité de ton « modeste mas exigu comme la maison du sage[1] » où, sans prétention, j’ai voulu goûter la sève bucolique de tes origines afin de comprendre mes aspirations ? Entre tes vers réalistes et tes rimes attendries, j’ai ressenti la vigueur de ton fier caractère et l’égalité de ton humeur de courageux travailleur. Dépourvue de futiles verbalismes et de pompeuses déclamations, telle « une plante vivace[2] », ta poésie a naturellement emprunté mes propres chemins émotionnels, à tel point que la rencontre avec tes textes, dont aux premières lectures je défrichais à peine le sens littéral, m’a peu à peu révélé les subtiles saveurs d’un véritable langage charpenté par d’authentiques inspirations terriennes.

Certes, je ne suis pas félibre et ne participe pas aux actions politiques de ma cité, même si la réflexion sur la condition humaine constitue le fidèle terreau d’où germent mes travaux d’écriture. Mais je me reconnais à travers ta plume, ta sensibilité et ta conception de l’amitié, engagement précieux envers lequel tu ne supportes pas la trahison. Pour ces ressemblances, puisses-tu guider l’élan de ma bonne foi à se rapprocher de ton illustre sincérité afin que nos racines communes et distinctes réalisent leur vocation sous la tâche humble d’une charrue aujourd’hui devenue virtuelle, mais toujours bienveillante et nourricière. Car, si je devais formuler un vœu pour influencer ce livre, ce serait celui d’inviter le sillon des traditions à rejoindre celui des modernités pour que s’y épousent les graines du passé avec les espoirs de l’avenir. De ces semences étonnantes naîtrait alors un présent sans cesse renouvelé où les différentes générations s’ouvriraient, s’épanouiraient et s’accompliraient ensemble dans la modeste satisfaction de cet état de contentement si bien décrypté par la spontanéité de ta plume que traduire countentié serait presque superflu :

« Dins ma bastideto cravenco,

  Dins moun jardin, dins moun vergié,

  I champ que moun araire atrenco,

  I jour caud, is ouro nevenco,

  Iéu siéu toujour au countentié… »[3]

« Dans ma petite bastide de Crau,

  Dans mon jardin, dans mon verger,

  Aux champs que ma charrue prépare,

  Aux jours chauds, aux heures de neige,

  Je suis toujours le plus heureux… »

 

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[1] Lei Cant de l’Araire e Leis Eiguierenco — 1905 — Grando Empremarié Prouvençalo — p 9.

[2] Alpes et Provence — 1er mai 1938.

[3] Poème intégral Countènt de gaire (Content de peu) — Livret Cansoun sènso musico.

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